Quelle place pour les taxis dans la ville de demain ?

On annonce ce matin plusieurs centaines de kilometres de bouchons sur le peripherique et les autoroutes ; il vous est donc conseille d’emprunter les transports en commun. Pour ceux qui prennent leur voiture, il faudra etre patient !

Un message radio matinal devenu banal qui reflète l’un des problèmes majeurs de la mobilité urbaine contemporaine. En effet, ces dernières décennies, le débat sur cette question a été de plus en plus marqué par la lutte contre la congestion, une conséquence non désirée de l’augmentation de la motorisation. Le fait de posséder une voiture est devenu un fait commun, pas seulement parce qu’elle est devenue accessible à de plus en plus de personnes, mais parce qu’elle permet surtout plus d’indépendance et de mobilité. Et cette motorisation croissante a non seulement fragmenté la demande de transport dans l’espace, avec la progression de l’étalement urbain, mais également dans le temps, chacun ne suivant plus le même rythme de vie.

Les autorités ont essayé de répondre à ce nouveau problème de congestion en utilisant à la fois des moyens de coercition et des moyens d’incitation pour réduire l’usage de la voiture individuelle. Le coercitif a consisté à diminuer les espaces de circulation et à augmenter les prix — de stationnement notamment — ; l’incitatif à faire parallèlement de gros efforts d’investissement sur les systèmes de transport collectifs, afin d’inciter à un report modal.

Mais en même temps, des investissements très importants ont été réalisés sur les réseaux autoroutiers pour faciliter la circulation entre les différents noyaux des grandes agglomérations. Et cela a profité à l’étalement urbain et à la motorisation des foyers. Aujourd’hui, le système de transport collectif moderne offre un très bon service aux citoyens dont les points de départ et d’arrivée se situent sur les lignes fixes du système, mais condamne et impose transferts et attentes interminables à ceux dont le point de départ se situe sur une ligne et l’arrivée sur une autre.

Et bien évidemment, il y a encore de nombreux citoyens qui ne vivent ou ne travaillent pas à proximité d’une de ces lignes fixes, et doivent donc nécessairement prendre une, voire plusieurs correspondances. Toutes les enquêtes montrent que les personnes qui doivent subir plus d’une correspondance prennent congé des transports collectifs dès qu’ils le peuvent pour utiliser leurs propres moyens : autrement dit la voiture.

 

Repondre aux besoins de mobilite modernes

Le besoin de mobilité s’individualise, se diversifie spatialement et temporellement, et devient plus spécifique selon les groupes de population. Pourtant, il convient de leur trouver des solutions collectives. Cela suppose donc une meilleure adaptation des transports collectifs aux situations et aux besoins changeants des populations urbaines.

Quel rôle le taxi peut-il jouer pour répondre à ces nouveaux besoins ?

Le taxi présente déjà tous les avantages de la voiture particulière : confort, service de porte-à-porte, possibilité de se déplacer avec des paquets lourds et encombrants ; mais sans ses limitations : stationnement difficile, possession du permis de conduire, coût, etc. En outre, sa flexibilité — on peut le prendre de n’importe où pour n’importe quelle destination — fait de lui le mode de transport transmodal par excellence.

Alors pourquoi son usage n’est-il pas plus développé en France ? En vue des nouvelles problématiques et nouveaux enjeux de la mobilité urbaine, quelle place pourrait-il trouver dans l’organisation de l’offre de transport public ?

 

Quels sont les potentiels du taxi ?

Le taxi est en fait un objet fascinant mais méconnu. Il est strictement encadré en France, par une législation et une organisation professionnelle qui lui sont propres. Par ailleurs, ses usages sont extrêmement diversifiés :

– pour se rendre et revenir des gares et aéroport, car il est très pratique pour transporter des bagages. En outre, il est également très pratique pour les touristes, qui ne connaissent pas forcément la ville ni les conditions de circulation ;

– pour les déplacements nocturnes : le taxi est le seul moyen de déplacement accessible à tous entre minuit et 5h — excepté le vélo et la marche. Il est donc beaucoup utilisé la nuit, aux sorties des boites de nuit et restaurants, par une population assez diversifiée. Il est souvent préféré à la voiture particulière, car il permet de rentrer en toute sécurité et légalité malgré la fatigue et l’alcool ;

– pour les déplacements professionnels. Les entreprises et administrations font notamment appel à eux pour éviter à leurs salariés de prendre leur voiture ou les transports en commun, par mesure de sécurité ou tout simplement comme avantage en nature ;

– pour effectuer des déplacements liés aux soins médicaux ou pour les personnes à mobilité réduite ;

– dans le cadre de contrats de transport à la demande (TAD). Un TAD est un service de transport public, qui nécessite qu’une réservation ait été enregistrée pour fonctionner. Il est généralement utilisé dans le cas de services de transport en zone peu dense ou bien en période de faible fréquentation, pour remplacer une ligne de bus par exemple ou compléter l’offre à des moments où les besoins sont différents.

Ainsi, les potentiels du taxi sont grands. Il est à la fois capable de ressembler à une simple voiture avec chauffeur et se muter dans la seconde suivante en minibus affrété à un itinéraire prédéterminé. Dans un contexte de besoins en mobilité urbaine de plus en plus éclatés et diversifiés, le taxi a donc effectivement tous les atouts pour être une composante à part entière de nos systèmes de transports urbains futurs et offrir une solution collective à nos besoins de plus en plus individualisés. Avec l’aide des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) et de l’innovation, le taxi peut devenir plus performant et mieux répondre aux besoins des citadins, comme des ruraux.

Mais le cadre légal et les logiques d’acteurs qui composent l’objet taxi sont un véritable frein à son évolution en France. Le taxi reste aujourd’hui un mode de transport très figé, qui n’a que peu évolué depuis plusieurs décennies. Parallèlement, les autres modes de transports publics ont vu leur cadre se moderniser. L’instauration des Plans de Déplacements Urbains (PDU) et des Autorités Organisatrices des Transports (AOT) par la Loi d’Orientation des Transports Intérieurs (LOTI) en 1982 et renforcé par la loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbains (SRU) en 2000, ont participé à une meilleure cohérence des offres de transports à l’échelle d’un territoire — c’est le cas par exemple du réseau de transport francilien géré par le Syndicat des Transports d’Ile-de-France, qui offre la possibilité, avec un même titre de transport, d’utiliser de nombreux modes de transports dans l’ensemble de la région (train, RER, métro, tramway, réseaux de bus urbains, périurbains, départementaux, interdépartemenaux…) avec des correspondances facilitées.

Les taxis ont donc tout intérêt à prendre le train en marche, à intégrer les nouveaux principes de gouvernance en matière de déplacements et à ne pas rester enfermé dans leur propre mode d’organisation.

 

Quel scenario d’evolution serait donc envisageable en France ?

Il apparaît déjà que nos systèmes de transports futurs ne s’appuieront pas seulement sur les transports publics, mais plutôt sur un panel de services de mobilité répondant chacun à des besoins précis et plus individuels. À l’image de l’autopartage, des vélos en libre-service ou du covoiturage, les différents modes de transport qui se développent aujourd’hui ne sont plus forcément des transports publics au sens juridique du terme. Toutefois, ils permettent comme les transports publics « classiques » de détourner les citadins de l’usage de la voiture individuelle et de régler les problèmes persistants de congestion et de pollution des villes. Dans un sens, le taxi est un service de mobilité comme un autre.

Plusieurs formes d’intégration sont possibles en pratique :

– les contrats de transport à la demande peuvent devenir une activité plus fréquente, pour permettre dans chaque ville de compléter les services réguliers en introduisant des services sur demande utilisant les taxis dans les périodes ou territoires où les besoins sont moindres ;
– les abonnements de transports collectifs pourraient intégrer un nombre de courses en taxis, ou bien sous la forme de « points s’miles » à cumuler, qui donne droit aux clients plus réguliers des transports en commun d’utiliser les taxis quand nécessaire.

D’une agglomération à l’autre, les taxis ne seront donc pas tenus au même rôle : mode de transport public puissamment intégré au reste de l’offre de transport en Ile-de-France, mode plus interstitiel dans les villes de moins grandes importances et dans les zones rurales, où les besoins en taxi classique sont moindres.

Concernant l’organisation des taxis, la régulation pourrait aller vers les centrales de réservation. Soit en empêchant par une loi tout monopole comme en Suède. Ou bien en concédant l’exploitation du central unique de réservation de la ville à un concessionnaire, pour une durée limitée, après appel d’offres, comme c’est le cas à Genève. Cela sonnerait peut-être la fin des artisans-taxis, mais pas la fin de la profession taxi, car la qualité du conducteur dépend avant tout de son amour pour le métier.

Pour Richard Darbéra, chargé de recherche au CNRS, le « Monsieur taxi » français, « nous sommes probablement à l’aube d’une évolution radicale du rôle des taxis dans la mobilité urbaine ». Mais cette évolution nécessite avant tout une gouvernance intégrée des taxis avec le reste des moyens de transports existants. Les autorités régulatrices doivent faire en sorte de faciliter l’intégration des taxis à ce panel de modes de transports déjà existant.

Plus concrètement, les exemples européens de Londres, Madrid ou Berlin « nous enseigne que l’existence d’une autorité unique sur un périmètre régional, et compétente en matière de transport (autre que taxi), évite l’obsolescence des règlements et facilite l’amélioration de ces services au fil du temps… ». Dans ces trois villes, les taxis sont plus visibles grâce à l’usage d’une couleur unique, plus attractifs avec une tarification plus cohérente avec le reste de l’offre en transports publics et plus disponibles la nuit, quand les transports en commun ne sont plus disponibles.

En France, le Groupement des Autorités Responsables du Transport (GART), une association créée en 1980 et qui rassemble 280 adhérents en 2012, a signé en 2003 une charte avec la Fédération Nationale des Artisans du Taxi (FNAT) pour reconnaître le rôle des taxis dans les services de mobilité. Elle milite notamment pour une compétence des collectivités territoriales étendue à l’ensemble des services de mobilité durable afin que les taxis puissent y participer en conservant leurs spécificités.

Dans un premier temps, cette gouvernance globale des services de mobilité pourrait passer par la mise en place de conseils en mobilité. Ceux-ci seraient propres à chaque agglomération et chargés d’estimer les usages sur le territoire, d’informer les habitants sur les différents modes qui leur sont accessibles et promouvoir ainsi l’ensemble des modes de transports alternatifs et/ou complémentaires à la voiture individuelle. L’effort devant également être mis sur l’intermodalité, afin de faciliter au mieux l’alternance modale pour un même trajet.

Il semble aujourd’hui que les choses soient en faveur d’un renouveau de la place des taxis dans les systèmes de transports urbains, bien que deux freins majeurs demeurent : d’un coté, la rigidité de la réglementation et du lobby des taxis français ; de l’autre, le développement encore coûteux des NTIC. C’est aussi peut-être d’une mise sur agenda politique qu’un tel projet manque, afin de permettre la recontre de l’ensemble des acteurs compétents — Etat, fédérations de taxi, centrales de réservation, AOT, collectivités, chercheurs, entreprises, etc. C’est pourtant sur la création de telles synergies que dépend l’amélioration de la mobilité urbaine.

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